mardi 1 mars 2011

Publisher's Cut (III): manolosanctis

Après les rubriques Publisher's Cut consacrées aux entretiens avec Serge Ewenczyk des éditions Cà et Là et Nathalie Meulemans des éditions Les Enfants Rouges, j'ai tenu à poser quelques questions à Maxime Marion, cofondateur et directeur de l'édition des éditions manolosanctis. Une occasion d'en apprendre davantage sur cette jeune structure éditoriale à l'occasion de la venue prochaine de quatre de ses auteurs dans notre librairie. Je remercie ici Maxime Marion, Solenn Martens, Christophe de Jamblinne et les auteurs pour leur disponibilité. Bonne lecture! 
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Nicolas Verstappen : Comment est né le projet manolosanctis? A-t-il été porté dès le départ par une équipe ou était-ce une seule personne qui lança ce concept?
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Maxime Marion : manolosanctis est porté depuis le début par Arnaud Bauer (président), Mathieu Weber (directeur général et technique) et moi-même (directeur de l'édition), tous trois amis de longue date, et issus de domaines d'activité complémentaires (commerce, informatique, beaux-arts...). Mathieu nous a parlé en 2008 de son envie de créer une plateforme communautaire, une sorte de "youtube de la bande dessinée". Après de nombreuses soirées à réfléchir sur la forme que prendrait manolosanctis, nous avons posé les bases du projet et décidé de nous lancer en mars 2009. Notre idée était, là où certains cherchent à s'éloigner du papier au profit du numérique, d'exploiter au maximum les avantages du web et des réseaux sociaux avec comme finalité le papier. La plateforme est ouverte à tous, gratuite, et permet aux auteurs de librement partager leurs travaux via les différents outils que nous fournissons. Elle est à la fois le moyen d'apporter de la visibilité aux auteurs, et pour nous, de dénicher les talents de demain. Un an et demi après le lancement officiel, nous sommes en passe de devenir la première communauté BD francophone, et notre catalogue compte une vingtaine de titres.
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NV : La décision de la publication des livres "s'effectue par un processus original combinant préférences des internautes et sélection éditoriale". La combinaison se fait-elle à part égale ou la sélection éditoriale était-elle prédominante? L'équipe de manolosanctis décide-t-elle parfois de publier un ouvrage qui lui semble réussi même si les internautes sont d'un avis contraire?
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Maxime Marion : Il s'agit en effet d'un processus éditorial particulier : il intègre à la fois l'avis des internautes et notre propre regard. Il faut considérer les internautes comme un premier comité de lecture, non intéressé et relativement objectif. Cela nous permet surtout de ne pas rater les petites perles qui pourraient arriver sur le site, ou encore nous conforter dans nos choix. Il m'arrive de signer un auteur sans avoir eu le temps de recueillir beaucoup de retours, sur un coup de coeur, mais pour l'instant tous les albums que nous avons signé ont également rencontré un beau succès sur le site. Ce mixage édito/participatif se comprend bien en regardant le classement des albums les plus populaires : sur les 30 premiers, 15 ont été édités.
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NV : Comment s'est déroulée la mise en place d'Oklahoma Boy, le premier ouvrage publié par manolosanctis? Les internautes ont-ils directement suivi l'album qu'ils avaient plébiscité?
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Maxime Marion : Thomas Gilbert est l'un des premiers auteurs à avoir publié un album sur notre site et le premier à être édité, et je lui suis reconnaissant de nous avoir fait confiance alors que nous débarquions à peine de nulle part. J'ai eu un coup de coeur immédiat sur cet album alors qu'il n'y avait que deux pages publiées. Nous avons attendu un peu, et au vu des nouvelles planches et des premiers retours très positifs, nous avons décidé de l'éditer. Un premier album ce n'est pas rien pour une maison d'édition. Nous avons beaucoup travaillé avec Thomas, parfois très tard, mais nous y sommes arrivés. Et nous avons tenu les internautes informés au fur et à mesure que le projet avançait, en publiant certaines planches, montrant des photos chez l'imprimeur, etc. Les fans ont donc pu suivre Oklahoma de sa conception jusqu'à son arrivée en librairie. Il s'agit d'ailleurs d'une trilogie, dont le second tome
Iron and Flesh est déjà paru en janvier dernier.

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NV : Ce premier album est en couverture souple. Pourquoi passer ensuite à la couverture "cartonnée"? Comment s'est effectué le choix du format et de l'aspect des livres?
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Maxime Marion : Pour les deux premiers albums, nous travaillions avec un imprimeur qui n'était pas spécialisé en bande dessinée et nous n'avions pas les moyens de financer des albums cartonnés. Dès que nous avons pu nous permettre de passer en couverture rigide, nous l'avons fait, tout simplement. Depuis nous travaillons avec des imprimeurs tels que Proost ou Lesaffre, dont la réputation n'est plus à faire.
Dès le départ, notre parti pris a été de ne produire que des beaux livres. Même souple, Oklahoma Boy 1 est conçu avec du papier Arctic Paper. Nous avons toujours cru à la formule diffusion gratuite/papier payant, car même si notre liseuse en ligne est plutôt agréable, on ne peut comparer l'expérience de la lecture d'un album sur le site avec le plaisir de l'objet. Après coup j'ai réalisé que nous avions fait les mêmes choix que Futuropolis notamment, en choisissant les matériaux les plus luxueux et qualitatifs.

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NV : Comment se déroule le suivi éditorial lorsqu'une publication "papier" est décidée? Demandez-vous à vos auteurs d'importantes modifications par rapport à la version "web" ou cette dernière est-elle souvent la version définitive?
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Maxime Marion : Il y a systématiquement des modifications, il est très rare qu'un album soit terminé et parfaitement finalisé. En revanche je ne cherche jamais à modifier le fond du propos, si on signe, c'est qu'on croit au projet. Donc l'essentiel des remarques et des corrections que l'on souhaite apporter concerne la lisibilité et la cohérence de l'album. La plupart du temps, les histoires ne sont pas terminées, on discute donc beaucoup avec l'auteur pour savoir ce qu'il cherche à dire dans son album. Il s'agit d'un travail d'éditeur classique en fin de compte, sans trop d'interventionnisme.
La base est donc l'album papier. Et avant la sortie d'un album, nous publions chaque semaine quelques pages pour arriver à peu près à la moitié de l'histoire pour le jour de la sortie : c'est une sorte de prépublication en ligne.
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NV : Un auteur qui publie ses planches sur votre site mais ne bénéficie pas d'une version "papier" peut-il proposer son récit à un autre éditeur? Comment fonctionne le système de droits d'auteur en général une fois les planches publiés sur votre site?
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Maxime Marion : Il y a deux systèmes distincts. Les albums présents sur la plateforme manolosanctis sont diffusés via licence "creative commons". Il s'agit d'une exception au droit d'auteur permettant aux artistes de diffuser leur travail librement sans pour autant en perdre les droits. Donc les auteurs restent libres de retirer leur album à tout moment, de voir d'autres éditeurs, etc. En revanche, lorsque nous signons avec un auteur, il s'agit d'un contrat d'édition classique : il nous cède les droits, perçoit une avance, des droits d'auteur, etc.
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NV : Dans la postface du premier Oklahoma Boy, vous signalez vouloir assurer une "rémunération supérieure à celle de l'édition traditionelle". N'est-ce pas un voeu pieux en cette période complexe et hautement concurrentielle?
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Maxime Marion : Au tout début nous pensions pouvoir, notamment grâce au web, améliorer considérablement les rémunérations aux auteurs, mais en effet la réalité du marché nous a vite rappelé à l'ordre. Cependant le monde de l'édition est parfois dur avec les jeunes auteurs, aussi une rémunération correcte reste un objectif important à nos yeux, nous faisons notre possible dans la mesure de nos moyens. Au vu de ce qu'il se pratique, je crois que nous n'avons pas à rougir des conditions que nous proposons et qui, depuis nos débuts, n''ont eu de cesse de s'améliorer.

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NV : Votre approche du "collectif" est assez novatrice. Les auteurs y collaborent sur base d'un court récit qui sert de tronc commun aux différentes participations. Comment a germé ce concept?
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Maxime Marion : Après un premier collectif parrainé par Pénélope Bagieu, Phantasmes, assez conventionnel (les auteurs devaient proposer une histoire autour du thème "phantasmes"), nous avons eu envie d'aller plus loin et de proposer un véritable ouvrage participatif, en profitant de notre site et cela a donné 13m28, parrainé par Raphaël B. Les candidats pouvaient voir en temps-réel ce que proposaient les autres, chacun devait apporter sa touche personnelle, tout en veillant à apporter quelque chose à l'histoire et à multiplier les ouvertures avec les autres récits, ça a été passionnant. Après le succès de 13m28, nous avons décidé de recommencer l'expérience en partenariat avec Angoulême avec pour parrain Thomas Cadène. C'est en ce moment d'ailleurs , jusqu'au 29 mars, à cette adresse : http://www.manolosanctis.com/contests/vivre-dessous !
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NV : manolosanctis a aussi lancé sa page en anglais. Espérez-vous pouvoir ainsi séduire de jeunes auteurs au-delà de la Francophonie?
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Maxime Marion : Oui, la plateforme est disponible en anglais, et bientôt en plusieurs autres langues. Nous avons décidé de nous ouvrir à l'international car le marché de la bande dessinée est inégal selon les pays ; la France et la Belgique restent une sorte d"El Dorado" pour beaucoup d'auteurs étrangers, et notamment ceux qui cherchent à sortir des sentiers battus. Notre offre reste la même : outils de diffusion et de partage, visibilité, et la possibilité d'être édité sur de beaux livres pour le marché francophone.
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(Entretien réalisé pour la librairie Multi BD via courrier électronique à la fin février 2011 - copyright 2011 Multi BD)

 
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